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Appliquer au principe de précaution... le principe de précaution

Le principe de précaution a connu un incontestable succès d'opinion depuis une bonne dizaine d'années et emplit désormais les pages des journaux et les ondes, à l'occasion de chaque évènement où un risque apparaît : ainsi, à propos du virus H1N1, de la tempête Xynthia ou des cendres du volcan Eyjafjöll, avons-nous été gâtés en commentaires plus ou moins crispés, plus ou moins enflammés à propos du principe de précaution. Reprenons pour illustrer quelques expressions récentes des éditorialistes patentés : le délire de précaution (Claude Imbert), un principe mortifère (Luc Ferry)…, à travers ces expressions, ceux-ci et d'autres nous alertent sur le fait que le principe de précaution serait le signe d'une société de plus en plus envahie par les peurs et d'une forme inquiétante de religion du catastrophisme conduisant au repli et à l'inaction.

Les lecteurs de cette revue connaissent bien la déjà longue histoire du principe de précaution. Rappelons simplement et brièvement pour la bonne compréhension que ce principe de précaution est né en Allemagne, à la fin des années 1960, à propos des menaces sur l'environnement, que, depuis, différentes instances internationales en ont précisé le contenu qui s'est étendu ensuite au domaine de la santé, qu'en France, ce principe figure dans la loi Barnier de 1995 et que la Charte de l'environnement lui donne en 2005 une valeur constitutionnelle sous cette forme : « Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attribution, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».

Revenons à ces événements récents qui ont engendré des polémiques sur le principe de précaution. Le principe de précaution, dans sa définition courante, ne doit exister que pour les situations d'incertitude scientifique, celles où le risque n'est pas connu, où le risque est potentiel. Or, dans les trois crises récentes, le risque était connu, le risque était avéré puisqu'on avait l'expérience que les cendres de volcan peuvent faire caler les moteurs d'avion, puisque Xynthia a touché des zones connues comme submersibles, puisque pour la grippe A, le virus était caractérisé. Dans ces trois cas, le risque est connu, donc ils relèvent bien plus du principe et du champ de la prévention… la difficulté étant cependant, dans les trois cas, qu'il a été difficile d'anticiper, de prévenir et de bien maîtriser la plus ou moins grande gravité du risque. Prévention et précaution ne sont certes pas identiques mais ne doit-on pas observer modestement que les frontières sont floues et qu'il existe un certain « continuum » entre ces deux notions qui relève du degré d'incertitude sur l'intensité du risque.

Du bon usage du principe de précaution, tel est sans doute, au regard d'une pratique qui se cherche, l'enjeu. Cela suppose d'abord de bien en cerner les dangers... et les risques d'une application sans précaution. Un réel danger réside dans le fait d'appliquer ce principe selon le dicton « dans le doute, abstiens-toi » : cela conduit à l'inaction, au renoncement des avantages et des bénéfices attendus du développement technologique, à une exigence irréaliste du risque zéro, à une perversion de la prise de responsabilité, à une pénalisation de la compétitivité des entreprises du fait d'excès de réglementation et d'obstacles à l'innovation, à un cache-sexe des intérêts protectionnistes et, au bout du compte, à la passivité et au déclin. Un autre danger plus sociétal existe : en effet, l'utilisation, à tout bout de champ du principe, de l'environnement à la santé puis à la vie quotidienne n'est-il pas susceptible de dénaturer le principe et d'ailleurs n'a-t-il pas déjà commencé à le faire ? Ne devient-il pas un « principe-parapluie » consistant de la part des responsables mais aussi de tout-à-chacun, à ne pas prendre le moindre risque (se réfugiant dans le slogan : « en matière de sécurité, on n’en fait jamais trop ! » ? Et puis, au final, n'est-ce pas un grand risque de ne pas prendre de risque ?

Ceux qui ont réfléchi au principe de précaution, au-delà de mouvances maximalistes, ont tenté de définir et de cadrer l'application de ce principe, notamment depuis le rapport « Kourilsky-Viney » de 1999. La première précaution est de bien inscrire le principe dans une démarche d'incitation à l'action, dans une démarche où il s'agit, parce qu'il existe un doute, de tout mettre en œuvre pour aller plus loin et agir au mieux ; il doit s'agir d'une démarche positive, d'une gestion active du risque qui ambitionne de limiter autant que possible les moratoires et le gel des innovations. Le précautionnisme qui serait une recommandation d'abstention, qui se réfèrerait au risque zéro, deviendrait vite anti-science. La seconde précaution serait de bien se garder de tout raisonnement du type : l'incertitude génère le risque et le risque crée le danger donc interdisons (c'est ce raisonnement qui a conduit un tribunal à imposer le démontage d'antennes relais de téléphonie mobile en évoquant la crainte légitime liée à l'impossibilité de garantir une absence de risque sanitaire ; mais ce jugement est en examen à la Cour de cassation). La troisième précaution est, par une logique de bon sens qui doit bien situer le risque dans son contexte, d'envisager et de mettre en œuvre des mesures proportionnées, provisoires donc revisitées régulièrement, réversibles, etc., ce qui demande de prendre en compte le mieux possible un calcul bénéfices ou avantages/risques et de décider rapidement et efficacement de recherches pour mieux évaluer le risque. La quatrième précaution concerne la question de la gouvernance : il existe et persiste, notamment en France, un vrai problème de relations entre experts ou chercheurs et politiques, chacun a tendance à camper sur des positions disons institutionnelles, à ne pas « se mouiller » dans un dialogue ouvert, de compromis parfois, d'avancées ou de recul d'autres fois, ou encore de risques à petits pas ; ne faut-il pas qu'une bonne gouvernance entre scientifiques et politiques dégage une sorte d'autorité qui puisse étudier si un problème soulevé relève bien du principe de précaution, qui puisse confier aux instances adéquates la mission d'en savoir plus, qui puisse définir des mesures provisoires et proportionnées, qui puisse évaluer ces mesures, qui puisse exercer une veille au long cours ? Les aventures de la commission du débat public sur les nanotechnologies ne montrent-elles pas insuffisances et retards, faute d'une bonne gouvernance, face à des technologies porteurs d'espoirs mais dont l'impact de l'exposition reste incertain ? La cinquième précaution est plus complexe et plus délicate à mettre en œuvre : en effet, le principe de précaution génère, les exemples ne manquent pas, une forme de « cercle vicieux » en ce sens que les mesures prises au nom de ce principe pour rassurer les populations contribuent à renforcer les craintes des populations ; pour éviter ce cercle vicieux, il faut sans nul doute beaucoup d'expertises reconnues, d'explications et de pédagogie.

Au fond, le principe de précaution est-il si innovant ? Il est une vertu ancienne, quelque peu oubliée, qui s'appelait la prudence. Cette vertu peut être définie comme une connaissance profonde et mûrie des ressorts de l'action qui permet que l'action se développe dans des limites bien repérées. Les anciens dénonçaient l'excès de prudence, la prudence disproportionnée (ou, dirions-nous aujourd'hui, la prétention au risque zéro). La prudence n'est ni l'immobilisme, ni l'attentisme. C'est un équilibre fondé sur le discernement. D'une certaine manière, il faut oser la prudence, il faut oser cette prudence-là. Cette invocation de Molière dans le Bourgeois Gentilhomme : « Que le ciel vous donne la force des lions et la prudence des serpents » n'est-elle pas plus que jamais d'actualité en ce début du XXIe siècle ?

(Éditorial de François-Xavier ROUSSEL (Géographe, consultant en urbanisme et aménagement) pour POLLUTION ATMOSPHÉRIQUE N° 206 - AVRIL-JUIN 2010.)

Dernière mise à jour le 08/05/2011 par Groupe.

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