Pierre Mounier

Entretien avec Pierre Mounier, directeur adjoint du Centre pour l’édition électronique ouverte, membre du conseil scientifique de Revues.org, fondateur du portail Homo-Numericus.net

Revues.org est une plateforme de revues en ligne en sciences humaines et sociales. Elle fait partie du du portail OpenEdition développé par le Centre pour l’édition électronique ouverte (Cléo) qui est une infrastructure complète d’édition électronique au service de l’information scientifiques en sciences humaines et sociales. Sur cette plateforme, sur environ 500 revues, deux modèles coexistent presque à égalité : des revues à barrières mobiles, avec un délai d’embargo sur la publication et des revues en Open Access. Parmi ces dernières, une centaine sont en freemium.

Un modèle « fair » à l’écoute des besoins des bibliothèques, media entre les articles scientifiques et le chercheur 

L’objectif du modèle freemium est d’obtenir une certaine justesse du système de financement qui rend indépendant la pratique de diffusion des connaissances et le système de publication des capacités économiques du lecteur et de l’auteur.

La particularité du modèle freemium est de proposer des contenus gratuits d’une part et des services à valeur ajoutée payants principalement à destination des bibliothèques. Les plus importants sont la possibilité pour les lecteurs de télécharger les fichiers PDF ou EPUB sur leur ordinateur à partir des identifiants délivrés, l’accès aux statistiques de consultation et de téléchargement des articles, l’ajout automatique des métadonnées de la plateforme à leur catalogue informatique et le branding (ajout du logo de la bibliothèque au fichier) qui rappellent le rôle central des bibliothèques dans l’accès au savoir. Après seulement deux ans d’existence, la moyenne des revenus générés par ces cent revues n’est pas extrêmement élevée, mais elle augmente rapidement.

Une qualité d’articles équivalente à celle des grandes revues traditionnelles 

Contrairement aux légendes urbaines, les publications en libre accès ne sont pas moins contrôlées que les autres. Aujourd’hui les revues en libre accès sont autant des revues à peer reviewing que les autres. De plus, en tant que nouvelles revues, elles doivent prouver leur qualité et vont donc durcir considérablement leurs critères.

L’affaire Bohannon qui a fait tant de bruit ne démontre pas qu’il y a un problème dans le système d’évaluation des revues en Open Access, elle démontre qu’il y a un problème dans l’évaluation scientifique en général. En effet, « s’il [Joan Bohannon] avait véritablement voulu faire la démonstration, il aurait dû prendre deux échantillons, un sur des revues qui ne sont pas en Open Access, l’autre sur des revues qui le sont. Or ce n’est pas ce qu’il a fait; il n’a pris que des revues en Open Access. Cela ne démontre rien car le problème qu’il identifie, soit des « faux » articles qui passent l’évaluation scientifique, on en voit des manifestations tous les jours, y compris dans des revues qui ne sont pas en Open Access ».

Les conséquences des recommandations européennes 

Suite aux recommandations européennes du 12 juillet 2012, une interrogation s’est posée sur la position de la France et donc du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Lorsque l’on découvrit que la Ministre était invitée à la journée Couperin sur l’Open Access, tout le monde attendait la réponse française. Cela amena à l’objectivation des différentes positions : Cairn, dont le modèle repose sur une durée d’embargo plus longue que celle proposée par la Commission européenne, organise sa propre journée en soutenant que la publication en libre accès est une menace pour les sciences sociales. En réaction, OpenEdition organisa aussi sa contre-journée, défendant que l’idée que « l’Open Access est une opportunité à saisir en ce qu’il accroît la visibilité, l’indexation, donc les usages ».

D’autre part, le nouveau framework Horizon 2020 (H2020) fixe les grandes orientations thématiques et la manière dont elles seront organisées jusqu’en 2020, parmi lesquelles l’obligation de publier les résultats de recherches qui auront été financées en libre accès. Pour cela, les organismes de recherche demandeurs de subvention peuvent inclure un volet « dissémination » dans leur budget afin que cette diffusion en libre accès soit aussi subventionnée. En d’autres termes un nouveau marché de publication européen, en quelque sorte subventionné par la Commission européenne, est ouvert. Et afin de capter ce nouveau marché, beaucoup d’interrogations se posent aujourd’hui quant aux différents modèles possibles.

Vers une coopération internationale 

OpenEdition est en phase d’internationalisation active depuis deux ans. Parmi les différents partenaires, on trouve notamment la plateforme OAPEN, plateforme sur laquelle des presses universitaires de différents pays européens se sont rassemblées pour diffuser en libre accès une partie de leur catalogue de livres.

A l’échelle extra-européenne, d’autres partenariats sont en cours de construction, par exemple au Mexique avec le réseau de revues mexicaines Redalyc, au Canada avec le Public Knowledge Projet (PKP) ou encore au Brésil avec la plateforme CIELO.

L’Open Access : au delà du militantisme 

L’écosystème du web a pour carburant le libre accès : il faut promouvoir les contenus auprès des lecteurs potentiels, capter l’attention; c’est ce qu’on appelle l’économie de l’attention. Ainsi, indépendamment des discours militants disant que ce qui est financé par le public doit retourner au public, la nécessité du libre accès vient du média lui-même.

Désormais le libre accès doit s’appuyer sur autre chose que des discours militants pour se diffuser; il faut élargir sa base et toucher les gens sur d’autres critères, en prouvant par exemple que le modèle freemium est un modèle économique viable.

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