Eyjafjallajökull - Fallait-il fermer l'espace aérien ?
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Avions bloqués : précaution nécessaire ou trouille ?

France Info : On va parler de ce ciel sans avions, de ce nuage de cendres qui continue à paralyser l'Europe. J'aimerais vous demander un mot presque philosophique : l'idée qu'on ne puisse plus voyager, qu'on ne puisse plus sauter dans un avion, traverser l'Atlantique, depuis 5 jours, on réalise progressivement un peu toutes les conséquences que ça a. Qu'est-ce que ça vous inspire, Etienne Gernelle ?

Etienne Gernelle : Ce que ça m'inspire, c'est assez simple. C'est que finalement, on vit dans une société de la trouille. On a peur de tout, des petites choses, des grandes choses, on a peur des Chinois, on a peur du chômage... Et ça ça nous rappelle quoi ? Ça nous rappelle qu'on est peu de chose. Et finalement, je me demande si ce n'est pas quelque chose de positif. Parce que, si vous regardez bien, les pays qui ont le plus peur, regardez le Japon, regardez la Californie, qui sont des endroits qui sont sur des failles sismiques monstrueuses, qui risquent à chaque instant de disparaître : ce sont les gens les plus créatifs du monde, ce sont les endroits où il se passe le plus de choses. Et finalement je crois que le sentiment du danger est générateur... C'est un appel au changement, et donc à la modernité. Et finalement ce n'est pas plus mal. Nous on cherche à se border de tous les coins, on cherche absolument à s'assurer : regardez Xynthia, regardez la grippe A, regardez les effets de la canicule. Finalement aujourd'hui on a peur de tout, on veut absolument s'assurer de tous les côtés. Eh bien non, ça ne marche pas, c'est une absurdité, on ne peut pas s'assurer contre l'avenir, tout peut nous arriver. Et finalement je crois que c'est un appel au changement et je trouve ça très bien.

FI : Très bien, cette histoire de ciel sans avions. Vous dites la même chose, Laurent Joffrin ?

Laurent Joffrin : Il faut savoir d'où vient l'affaire, parce que c'est vrai qu'on a une société de crainte et de défiance, ce n'est pas positif. Mais si vous vous mettez - un peu de bon sens ! - à la place des autorités, je ne sais pas, hier, avant-hier, vendredi, voilà, il y a un risque de chute d'avions et d'accidents corporels, qu'est-ce que vous faites à leur place ? Vous prenez le risque, on va voler quand même ? On va dire aux passagers : prenez l'avion mais je vous préviens, on n'est pas sûrs d'arriver ?

EG : Est-ce qu'on n'est pas allés trop loin, Laurent, parce que...

LJ : Attendez. Au départ c'est ça l'affaire. Ils sont obligés de faire ça. Les experts leur disent : c'est dangereux, donc ne le faites pas. Donc ils ne le font pas. Alors on incrimine le principe de précaution ; on a raison, mais il faut voir d'où il vient. Il vient du fait que si on l'avait appliqué, par exemple pour l'amiante, on aurait évité des milliers de cancers. Si on l'avait appliqué pour d'autres phénomènes, on se serait prémunis contre des fléaux majeurs. De la même manière, aujourd'hui on est obligés de prendre en compte ça. Alors est-ce qu'on va trop loin, c'est une chose qu'on peut discuter. Le principe de précaution suppose que le savoir scientifique soit partagé, soit permanent et partagé. Là, on n'a pas fait ça, ça c'est vrai, puisqu'on s'est reposés sur un seul modèle, qui est d'origine britannique apparemment, et sur une seule source scientifique. On n'a pas fait de test aérien suffisant pour montrer qu'on pouvait voler.

EG : sur le principe de la canicule, l'explosion de Jean-François Mattei qui a été critiquée de toutes parts à la suite de l'affaire de la canicule, est-ce que ce n'est pas quand même le principe de trouille des politiques qu'on reproche quelque chose après ? Donc on se blinde de tous les côtés. On le voit aussi dans l'affaire Xynthia, on détruit des maisons parce qu'on se dit : il pourrait se reproduire une crue de ce niveau-là, une tempête de ce niveau-là dans cent ans. Est-ce qu'on ne va quand même pas trop loin là-dedans ? Est-ce qu'il n'y a pas une espèce de volonté

LJ : Oui mais est-ce qu'il faut appliquer un principe de défiance systématique à l'égard de tous les experts ? C'est une société invivable, parce que toute précaution prise par les pouvoirs publics est d'emblée suspecte, on pense qu'ils sont animés par de mauvaises intentions. Dans l'affaire de Xynthia, est-ce qu'on pense sérieusement que les préfets et les gens qui sont allés faire les expertises sur place sur l'inondation sont des idiots, des incompétents ou des gens corrompus ?

EG : Non, ils ne sont ni idiots ni incompétents, ils ont peur qu'on leur reproche quelque chose après, ce n'est pas la même chose.

LJ : Oui mais il y a eu au moins deux affaires dans lesquelles cette idée s'est ancrée dans l'opinion : il y a eu l'affaire du sang contaminé, où les autorités effectivement ont menti, ont pris un risque excessif, et ça s'est traduit par beaucoup de morts, et il y a l'affaire du nuage de Tchernobyl qui est un peu plus ancienne mais qui était très spectaculaire, où les autorités ont sciemment menti à l'ensemble de l'opinion. Depuis ces deux affaires...

EG : Oui mais là on parle de mensonge

LJ : ... les gens se méfient. Oui mais une fois que vous avez fait ça, après vous êtes moins crédible.

EG : Je ne sais pas si vous avez vu un film qui s'appelle 2046, de Wong-Kar Wai, qui raconte comment le monde est devenu géré par les assurances en fait. Et en fait tout ce qu'on fait, tous les voyages doivent être garantis par les assurances. On est un peu dans ce monde-là, où on veut absolument que tout soit bordé, on veut absolument être sûrs de tout, qu'il ne se passe rien de nouveau. Et ça, c'est le signe d'une société qui a la trouille, et qui n'est pas prête à aller de l'avant.

FI : Oui mais alors Etienne Gernelle si on vous suit jusqu'au bout il fallait dès samedi dire : allez tant pis, on fait redécoller les avions ?

EG : Non ça ne veut pas dire ça. Ça veut dire simplement que c'est révélateur de quelque chose chez nous. Moi je ne suis pas Président de la République ni Premier Ministre et ce n'est pas mon job. Simplement tout ceci révèle quelque chose, c'est une angoisse permanente, et qui n'est pas à mon avis source de créativité, qui n'est pas source de changement.

FI : Laurent Joffrin, vous êtes en train de dire que le principe de précaution est utile

LJ : Évidemment, à condition de ne pas l'appliquer de manière extrême.

FI : Et en même temps c'est votre journal ce matin qui titre sur la polémique, est-on allés trop loin etc. Vous êtes le quotidien français qui va le plus loin dans cet angle : y a-t-il une polémique

LJ : Oui je crois qu'on a raison. La preuve d'ailleurs c'est que les vols qui ont été faits montrent qu'il n'y a absolument aucune particule. Donc il doit y avoir un problème quelque part, on va découvrir qu'il y a eu une erreur dans le modèle mathématique, ça c'est pratiquement sûr. Mais encore une fois, il faut se placer aussi à la place des décideurs publics, il ne faut pas constamment les incriminer à chaque fois qu'ils prennent une décision. Le directeur de l'aviation civile, le ministre des transports se disent : on ne peut pas prendre le risque de faire tuer des gens, simplement parce que ça va créer des retards et des pertes financières. Vous êtes coincés là, vous pouvez toujours dire : oui c'est la société de la trouille, c'est la peur, etc., d'accord, enfin concrètement vous êtes devant un dilemme : on vole ou on ne vole pas ? Il faut choisir, on ne peut pas voler à moitié.

EG : Le paradoxe dans cette affaire, c'est que c'est un tout petit volcan, c'est un volcan minuscule, une toute petite éruption, simplement ça a fait un dégagement parce qu'il y avait de la glace. Ce qui est intéressant c'est que finalement il y en avait de beaucoup plus gros dans le monde, il y a des dangers beaucoup plus gros que ça. Et là on a une espèce de crispation terrible à partir d'un tout petit volcan, finalement c'est quand même assez intéressant.

Dernière mise à jour le 08/05/2011 par Groupe.

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