La chronobiologie : qui, où, quand et pourquoi ?

I) Naissance et extension

La chronobiologie se place comme science expliquant l’apparition et l’évolution de processus biologiques en fonction de rythmes et de temps propres à l’être vivant étudié.

Historiquement, les premières études de tels processus datent du 18ème siècle.

Le scientifique français Jean-Jacques d’Ortous de Mairan est la premier à en observer : en 1729, il constate que les feuilles d’une plante héliotropes suivent un cycle d’ouverture/fermeture de 24 heures (dit rythme circadien) et ce même si on isole cette plante du Soleil.

En 1751, le botaniste suédois Carolus Linnaeus établit ainsi une ''horloge florale'', différentes plantes étant réparties de manière circulaire, chacune s’ouvrant à l’heure qu’indiquerait la petite aiguille d’une horloge pointée dans sa direction. 1

La chronobiologie telle qu’elle est connue aujourd’hui s’est bien davantage développée dans la seconde moitié du 20ème siècle : on la considère souvent naît avec Franz Halberg, selon beaucoup père fondateur de cette science, ayant été le premier à publier sous ce terme un livre relatant les résultats de ses études : Introduction to Chronobiology. Pour la première fois, sont décrits chez les êtres vivants des processus classés suivant différents rythmes : les rythmes circadiens (d’une durée de 24 heures environ), mais aussi les rythmes circaceptidiens (d’une durée de 7 jours ; semblent, d’après Halberg, jouer un rôle dans l’immunothérapie et l’étude de la pression artérielle), les rythmes circatrigintidiens (d’une durée d’un mois environ ; pourraient régir les sécrétions urinaires) et les rythmes circaniens (d’une durée sensiblement égale à l’année ; leurs déphasages pourraient être à l‘origine de certaines maladies).

Ce ne sont que quelques exemples tirés des analyses de Halberg, qui est le premier à décrire l’influence du paramètre temporel sur certains comportement biologiques. 2

Dans le même temps, en 1960, Colin Pittendrigh, second fondateur de la chronobiologie moderne, met en place au comité de Cold Spring Harbor la terminologie qui accompagne la nouvelle science, et est le premier scientifique à émettre des critères qu’un rythme biologique. doit respecter pour être considéré comme circadien :

  • ce processus doit se répéter toutes les 24 heures
  • il doit persister en l’absence de toute manifestation extérieur du rythme jour-nuit.
  • il doit pouvoir s’ajuster en fonction de l’heure locale
  • ce processus doit être observé sur une certaine plage de température

L’arrivée de la chronobiologie en France est notamment due à Alain Reinberg, alors physiologiste et qui, dans les années 1960, fut un des pionniers dans l’étude de ce que l’on allait appeler par la suite ''chronothérapie'' : l’étude des méthodes de soins et des effets de médicaments à différents moments de la journée. 3

C’est durant cette période que se répand le plus la chronobiologie : née de pères Roumain (Halberg) et anglais (Pittendrigh), et déjà largement reconnue par leur biais aux Etats-Unis, d’éminents scientifiques de tous pays se trouvent impliqués dans des travaux sur la chronobiologie. Citons (cf l’article précédent) Erhard Haus (Autriche), Josef Rutenfranz (Allemagne), Israel Ashkenazi (Israel)…

Les congrès internationaux sur la chronobiologie se veulent encore bien plus internationaux que ces quelques noms le disent. 4,5

II) Chronobiologie et rythmes scolaires

Les premiers scientifiques à étudier les rythmes biologiques chez les enfants furent Theodor Hellbrügge et son compatriote Josef Rutenfranz, dès 1960. A partir de différents relevés (température corporelle, rythme cardiaque, résistance électrique de la peau, relevés de sodium, potassium, chlore dans les urines…), ils analysent la fatigue des enfants tout au long de la journée. Leurs études révèlent déjà une forte propension à la somnolence en début d’après-midi. 6

.

En 1965, dans son livre Circadian Rythms in Man, l’allemand Jürgen Aschoff pose définitivement les bases de l’étude chronobiologique des hommes en constatant, sur deux hommes ayant ''hiberné'' durant un mois dans une grotte du Kentucky pour le tournage d’un film, que ''Quelle que soit la variable physiologique mesurée, elle présente toujours un maximum à un moment de la journée, et un minimum à un autre moment'', concluant ainsi sur le caractère endogène, c’est-à-dire intrinsèque à l’homme, des rythmes d’une période de 24 heures. 1

.

En 1977, l’article Time of day effects in school children's immediate and delay recall of meaningful material (de Simon Folkard, Timothy Monk, Bradbury et Rosenthall), relate une des premières études explicitement menées sur l’attention et la mobilisation des élèves dans l’environnement scolaire en fonction de l’heure de la journée. On peut y lire, par exemple, à propos d’une expérience menée sur 103 élèves de collège : ''Les capacités de mémorisation se sont révélées meilleures le matin que l’après-midi'', conclusion vraisemblable au regard des emplois du temps proposés actuellement par les chronobiologistes, avec un matin plus long que l’après-midi.

Dès lors, de nombreux chrono biologistes s’intéressent à la question scolaire dans leurs études. Le paragraphe suivant traite du cas français qui nous intéresse, mais citons quelques unes des études à l’étranger :

  • A longitudinal study of the sleep-Wake cycle in children living on the same school Schedule (1996 ; Fernando Louzada, A.Orsoni, Luciana Mello, Ana Amelia Benedito Silva, Luiz Menna-Barreto)
  • Prevalence and correlates of sleep problems in chinese school children (2001 ; Xianchen Liu, Zhenxiao Sun, Makoto Uchiyama, Kayo Shibui, Keiko Kim, Masako Okawa)
  • Teaching Chronobiology and Sleep Habits in School and University (2008 ; Carolina Azevedo, Ivanise De Sousa, Ketema Paul & al)
  • Sleep, neurobehavioral functioning, and behavior problems in school-age children (2002 ; Avi Sadeh, Reut Gruber, Amiram Raviv)

Il existe donc en effet des études, menées à l'étranger, explicitement sur les périodes d'attention des élèves pendant le temps scolaire. Cependant, on peut noter que les chronobiologistes qui développent le plus d'études sur le thème des rythmes scolaires sont les chronobiologistes français.

On peut déjà constater, sur des sites d’archives de publications scientifiques, qu’à l’échelle internationale, l’école n’est pas thème principal abordé par la chronobiologie :

Sur le site ''The Web of Knowledge'', l’éducation ne concerne que 30 publications sur 2 627 articles liés à la chronobiologie. Parmi ces articles, une majorité est apportée par des scientifiques français.

De plus, il n'existe pas de terme dédié aux rythmes scolaires en anglais. Voici un article7 écrit par plusieurs chercheurs de différents pays, dont Hubert Montagner.

La dénomination anglo-saxonne du terme "rythmes scolaires" semble être "school schedules" ; ce terme anglais désigne en réalité "l'emploi du temps" et n'a donc pas la même valeur que notre terme français. D'ailleurs, en cherchant sur un site référençant de nombreuses publications scientifiques (ici findarticles.com) les termes conjoints "chronobiology" et "school schedules", nous n'aboutissons qu'à un seul résultat qui correspond en outre exactement au thème recherché : étude du "meilleur" moment de la journée pour apprendre :

Un autre terme candidat, d'après les traductions des titres de contributions d'Hubert Montagner à l'étranger (ici par exemple), serait "school rythms" 8:

En réalité, cet article est le premier cité si on effectue sur un moteur de recherche généraliste une recherche à partir du terme précédemment cité. En outre, les recherches portant sur ce thème sur findarticles.com donnent zéro résultat.

Enfin, le terme "scholar rythms" transcrit mot à mot ne se trouve que sur un seul site Internet, et s’avère en réalité être une transcription littérale du terme original en espagnol. 9

Les études des journées scolaires ne constituent pas un champ de la chronobiologie réservé aux français, comme un certain nombre d’études cités au-dessus le montre ; cependant, elles restent à l’étranger assez marginales, la France ayant sa branche ''rythmes scolaires'' de la chronobiologie bien plus élargie.

Les rythmes scolaires étant cependant beaucoup moins mis en question à l’étranger, il convient de se rappeler que si la chronobiologie se penche en France plus sur la question scolaire que chez ses voisins, c’est sans doute parce que les rythmes scolaires en général y sont davantage remis en question.

III) La chronobiologie sur les rythmes scolaires en France

Après ses débuts en France avec Alain Reinberg, la chronobiologie se développe aussi dans notre pays dans le domaine des rythmes scolaires. Parmi les spécialistes de la question, présentons-en deux :

Hubert Montagner

Docteur.ès-Sciences, Professeur des Universités en retraite, ancien Directeur de Recherche à l’INSERM, ancien Directeur de l’Unité “Enfance Inadaptée” de l’INSERM, Hubert Montagner est impliqué depuis bien longtemps dans la controverse des rythmes scolaires, ayant publié à de nombreuses reprises sur le sujet sous l’angle de la chronobiologie et de la chronopsychologie.

Mettant en avant le rôle de la securité affective, sentiment de ne pas être abandonné, chez l’enfant, il prône une journée dont les cours ne démarreraient que vers 9h30, où la pause méridienne serait ménagée de 12h à 13h30 ou 14h, et où les cours s’arrêteraient au plus tard à 17h. C’est alors que, la condition physique étant optimale, les enfants seraient libérés pour faire du sport, ou toute autre activité nécessitant une mobilisation physique particulière.

Hubert Montagner est également en faveur du développement, à l’école, de ''figures d’attachements sécure'' : des personnalités proches de l’enfant, qui lui donnent confiance, ne le renvoient pas à ses erreurs et ne le jugent pas.

Quelques articles de Hubert Montagner :

  • Les rythmes majeurs de l’enfant 10
  • Le temps des 24 heures 11

François Testu

Professeur Emérite des Universités en psychologie à l ‘Université François Rabelais de Tours, Président de la Jeunesse au Plein Air, François Testu est un acteur majeur de la chronobiologie et de la chronopsychologie. Ses travaux ont contribué à mettre en évidence, dans la journée, des périodes de faible vigilance (tôt le matin, début d’après-midi) et de plus forte vigilance (en progressant dans chaque demi-journée).

Il dénonce la semaine de 4 jours qui densifie les 4 journées travaillées, ainsi que les inégalités qui en découlent : les jours libérés sont profitables aux enfants de milieux sociaux aisés, qui peuvent faire du sport ou participer à des activités culturelles, tandis que d’autres enfants de milieux plus difficiles seront pénalisés, passant parfois la journée devant la télévision, devant même dans certains cas pallier à l’absence de leurs parents pendant toute la journée.

Un des ses articles : ''Les rythmes de l’enfant : un autre aménagement est possible. Pour qui et pour faire quoi ? '' 12

Son livre: Rythmes de vie et rythmes scolaires. 13




C’est dès les années 1980 que la chronobiologie s’exprime sur les rythmes scolaires. Dans les colloques de 1980 et 1982 (reprises dans le livre Les rythmes de l'enfant et de l'adolescent. Ces jeunes en mal de temps et d'espace), Hubert Montagner décrit les résultats de ses recherches :

En direction de l’école, le professeur Montagner propose qu’elle commence à 9 heures et se poursuivent jusqu’à 11h30 ou midi. De 12h à 15h, le temps serait libre, l’enfant pouvant dormir s’il en a envie, ou jouer ou lire dans le cas contraire.

Les enfants devraient être ainsi d’autant plus attentifs pour la période de travail qui s’étendrait de 15h à 16h30, 17h ou 17h30 selon les âges. 14

.

Pour ainsi dire, toutes les bases des préconisations des chronobiologistes en terme de rythmes scolaires, jusqu’au débat d’aujourd’hui, sont posées ; notre entretien avec Hubert Montagner lui-même confirme que la prise de position des chronobiologistes est uniforme depuis 1980 :

Il y a une plage favorable à l’apprentissage, se situant entre 9h, 9h30 et 11h30, 12h voir 12h30 selon les enfants. Viens ensuite la pause méridienne, qu’il faut également neutraliser puisqu’elle est le siège d’un affaissement de la vigilance du cerveau. Il y a une augmentation de la sécrétion de mélatonine, parfois appelée hormone du sommeil, par l’épiphyse (glande de la partie supérieure du cerveau), ainsi que, entre 13 et 14h, une augmentation du rythme cardiaque (multiplié par 3 à 4 chez les enfants de l’école primaire). Arrive une nouvelle période forte entre 14h30, 15h et 16h30, 17h.

Cela fait 20 ou 30 ans, selon les aspects, que nous n’arrêtons pas d’écrire et de publier la même chose à partir de la recherche fondamentale menée.

En 1980, les messages forts adressés par Hubert Montagner étaient le plan de la journée indiqué ci-dessus, les vacances scolaires d’au moins deux semaines (une seule n’étant jamais suffisante pour marquer une rupture) et les dangers d’un week-end trop long, ce qui allait plus tard expliquer les critiques à l’encontre de la semaine de 4 jours. 30 ans après, le discours est inchangé, et pourtant dans le débat des rythmes scolaires, la chronobiologie est partie de l’état de science nouvelle et inconnue du public, à l’état de référence pour de nombreux partis tiers de la controverse, et l’adoption en 2008 de cette semaine de 4 jours montre bien ce chemin parcouru jusqu’en 2011.

Qu’est-ce qui a changé récemment ?

Premièrement, l’action et l’anticipation des chronobiologistes ont été déterminantes. La prise de position contre la semaine de 4 jours, qui allait rencontrer bientôt l’opposition de nombreux autres professionnels mais aussi des familles, ainsi que les échecs français récurrents au différents ''classements de l’éducation'' (par exemple les classements PISA), semblent avoir mis en avant les défauts du système éducatif français, auquels les réformes récentes, auxquelles s’opposaient les chronobiologistes, n’ont visiblement rien pu faire.

Nombre de publications, par an, sur les thèmes ''rythmes scolaires'' et ''chronobiologie'' conjoints.
Remarquons, outre l’explosion avec l’arrivée de la conférence nationale, une première inflexion en 2008, année d’adoption de la semaine de 4 jours.

Secondement, en plus de n’avoir jamais souffert de contestation de la part d’une autre science, la chronobiologie s’est en plus récemment dotée d’une crédibilité en voyant ses études reprises par des acteurs scientifiques tiers. C’est le cas de l’académie de médecine, qui dans son rapport en Janvier 2010 reprend exactement les propositions des chronobiologistes ; la pédopsychiatrie s’insurge contre la semaine de 4 jours et prône au même titre que la chronobiologie un étirement de l’année sur les vacances d’été pour annihiler la densité de la journée scolaire15 ; la psychologie s’appuie entre autre sur l’étude chronobiologique pour expliquer la ''psychopathologie scolaire'' 16.

La chronobiologie est une discipline de vaste portée, à la fois en terme d’extension et en terme d’études. Eparpillée aux quatre coins du monde, elle couvre les champs aussi larges que la physiologie, l’aspect temporel dans la botanique, l‘étude de l‘attention dans les métiers militaires ou d‘opération de contrôle, la médecine… et les rythmes scolaires.

Si le domaine des rythmes scolaires est très développé en France, il n’est pas, loin s’en faut, une exclusivité nationale, de nombreuses études ayant été menées avant le développement de cette science en France dans les années 1980, et étant toujours menées à l’heure actuelle. Si la chronobiologie fait aujourd’hui parler d’elle dans le domaine des rythmes scolaires, c’est parce elle propose une approche réellement différente de celles adoptées jusqu’au questionnement lancé par Luc Châtel en Juin dernier, et qu’il y a consensus général dans la communauté scientifique en faveur de ses conclusions.

La question de l’école ayant été développée dans les études à l’étranger également, l’importance de l’étude chronobiologique sur les rythmes scolaires en France est aussi due, tout simplement, à l’importance que nous, français, accordons au débat des rythmes scolaires.




1 Site Time matters. Biological Clocks – Garden Variety Experiments, consulté le 10 Mars 2011 (lien)
2 Site du Halberg Chronobiology Center, consulté le 10 Mars 2011 (lien)
3 Alain Reinberg. Ai-je découvert quoi que ce soit en chronobiologie ?, consulté le 10 Mars 2011 (lien)
4 Site scielo.br. The brain decade in debate, consulté le 10 Mars 2011 (lien)
5 Site de la World Federation of Societies on Chronobiology, consulté le 10 Mars 2011 (lien)
6 Theodor Hellbrügge. The development of circadian rythms in infants, sur le site symposium.cshlp.org, consulté le 12 Mai 2011 (lien)
7 Danilo Rodríguez ; Hubert Montagner ; Albert Restoin ; Robert Soussignan. Les rythmes biologiques et psychologiques des enfants à l'école et leur importance dans l'organisation du temps scolaire, sur le site ingentaconnect.com, consulté le 12 Mai 2011 (lien)
8 N.Pignal. Les rythmes des enfants et les rythmes scolaires, sur le site pubmed.gov, consulté le 12 Mai 2011 (lien)
9 C.Valenzuela ; C.Srikumari ; J.Csoknyay ; N.Pineda. Les rythmes scolaires annuels et de ménarche, sur le site refdoc.fr consulté le 12 Mai 2011 (lien)
10 Hubert Montagner. Les rythmes majeurs de l'enfant, consulté le 10 Mai 2011 (lien)
11 Hubert Montagner. Le temps des 24 heures, consulté le 10 Mai 2011 (lien)
12 François Testu. Les rythmes de l'enfant : un autre aménagement est possible. Pour qui et pour faire quoi ?, consulté le 10 Mai 2011 (lien)
13 François Testu. Rythmes de vie et rythmes scolaires, Editions Masson.
14 Margot Michel. Montagner (Hubert) - Les rythmes de l'enfant et de l'adolescent. Ces jeunes en mal de temps et d'espace, Editions Stock.
15 M.Vidailhet, C.Vidailhet, M.Maret. Pédiatrie – Pédopsychiatrie, Editions Masson.
16 Nicole Catheline. Psychopathologie de la scolarité, Editions Masson.

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