Eyjafjallajökull - Fallait-il fermer l'espace aérien ?
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Comment un volcan a cassé la reprise

Air&Cosmos N°2215, Yann Cochennec

Il y a deux semaines, le transport aérien mondial commençait timidement à retrouver le sourire. Le trafic était en effet reparti à la hausse après une année 2009 complètement sinistrée. Après avoir essuyé les effets d'une grève des contrôleurs aériens et d'intempéries en février avec une perte sèche de 22 M€, Air France pouvait constater, le 8 avril, avec une certaine satisfaction que son trafic de passagers avait enregistré une forte hausse au mois de mars et que celui du fret reprenait enfin des couleurs.

De son côté, l'Association du transport aérien international (IATA), après avoir noté la très nette amélioration de la demande mondiale dès janvier, annonçait la réduction de moitié de ses prévisions de pertes pour l'année 2010 : 2,8 Md$ (2,1 Md€), au lieu des 5,6 Md$ initialement attendus. Une amélioration "largement attribuable à une reprise de la demande, qui s'avère plus forte que prévu" pour une capacité restée inchangée, avec à la clé une hausse de la recette unitaire. Et Giovanni Bisignani, le directeur général de l'IATA, pouvait "commencer à envisager l'avenir avec un optimisme prudent".

C'était compter sans l'imprévisible : l'éruption du volcan Eyjafjöll en Islande, le 14 avril, après un long sommeil de près de deux siècles. La procédure d'alerte définie par l'Organisation de l'aviation civile internationale est enclenchée (cf. encadré page suivante). Dès l'après-midi, une quinzaine de vols sont annulés en Grande-Bretagne et la Norvège décide de fermer une partie de son espace aérien. Le 15 avril au matin, les services de la navigation aérienne britannique annoncent que l'espace aérien du Royaume-Uni est fermé à partir de midi, tandis que la Suède, le Danemark, les Pays-Bas et la Belgique prennent tour à tour des mesures similaires.

En France, seuls les vols au départ de Paris-Charles-de-Gaulle et à destination de l'Ecosse, Londres, Copenhague et Oslo sont annulés. Il est près de midi. A 16 h, la situation se dégrade en raison du déplacement vers le sud du nuage de cendres. Comme prévu par la procédure, la "zone de précaution aéronautique" définie en collaboration avec le centre d'avis de cendres volcaniques de Londres est étendue à 25 aéroports du nord de la France : huit doivent être fermés à partir de 17 h ; les autres, dont Paris-Charles-de-Gaulle et Orly, à partir de 23 h.

Fermeture progressive. Toujours le même jour, à 21 h, il est décidé que les plates-formes concernées resteront fermées jusqu'au vendredi 16 avril, 14 h. L'Allemagne ferme à son tour 13 de ses 16 aéroports internationaux et certains n'hésitent pas à annoncer une réouverture dans la soirée. Le problème est que les nuages de cendres se déplacent toujours vers le sud et qu'ils prennent leur temps. Eurocontrol indique que le trafic "pourrait être paralysé encore 48 heures en fonction de l'évolution des nuages". D'ailleurs, la fermeture des aéroports français et celle de l'espace aérien britannique sont prolongées jusqu'au samedi matin.

Le nombre des vols annulés prend progressivement de l'ampleur : 6.000 jeudi sur un total de 21.000, puis 17.000 sur les 28.000 initialement programmés vendredi. Et au fur et à mesure du déplacement du nuage, la zone de précaution aéronautique s'étend aussi progressivement à l'est de l'Europe (Autriche, Pologne, Serbie, Roumanie... ), au sud de la France (Lyon, Bordeaux, Marseille, Nice) et au nord de l'Italie. Le samedi 17 avril, la France décide de fermer pratiquement tous ses aéroports jusqu'au lundi 19, puis tous ceux au nord d'une ligne Bordeaux-Nice à partir du 20 avril.

La paralysie gagne toute l'Europe et les premières critiques commencent à poindre. Dès le vendredi 16 avril, l'Association des compagnies aériennes européennes (AEA) fait état de sa préoccupation sur le fait que "différents critères peuvent être appliqués par différentes autorités pour déterminer quels espaces seront fermés et rouverts", tout en soulignant la nécessité "d'une coordination au niveau européen pour éviter de réagir de manière excessive". En clair, l'Europe a manqué de cohérence et pour ne rien arranger "nulle part quiconque semble avoir pris en compte la densité des particules dans le nuage et à quel moment leur concentration cesse d'être un problème".

Des critiques reprises par le directeur général de l'IATA trois jours plus tard, lors d'une rencontre avec l'Association des journalistes professionnels de l'aéronautique et de l'espace (AJPAE). Giovanni Bisignani ne mâche pas ses mots et se déclare "insatisfait de la façon dont les gouvernements gèrent la situation, sans évaluation des risques, sans consultation, sans coordination et sans leadership... Cela signifie que les gouvernements n'ont pas assumé leurs responsabilités de prendre des décisions claires fondées sur des faits".

Même le modèle de prévisions utilisé par le centre d'avis de cendres volcaniques de Londres est pointé du doigt. Reste que le modèle utilisé a déjà largement fait ses preuves et, comme on le souligne du côté canadien, "même les zones de concentration faible en cendres constituent un risque pour l'aviation" (cf. encadré page 12). Les critiques fusent car la facture s'annonce d'ores et déjà salée. L'impact de la paralysie de l'espace aérien européen pendant cinq jours serait supérieur à celui qui avait affecté le transport aérien nord-américain après les attentats du 11 septembre 2001.

Avec plus de 60.000 vols annulés et près de 7 millions de passagers pris au piège, le transport aérien mondial a accusé un manque à gagner évalué à 1,7 Md$ (1,3 Md€) par l'IATA. Une évaporation de recettes qui affecte pour l'essentiel les compagnies aériennes européennes. Le directeur général d'Air France-KLM en évalue les effets sur les marges d'exploitation à 150 M par jour, soit 750 M . Mais, il risque fort d'être en dessous du chiffre final. A elles seules, Air France-KLM, British Airways, Aer Lingus, SAS, EasyJet et Ryanair en sont à un peu plus de 520 M€ sur cinq jours.

Aggravation. Ce qui n'arrange pas les affaires d'un transport aérien européen financièrement affaibli par une année de crise brutale et à qui l'IATA prévoyait d'ores et déjà pour 2010 une perte globale de 2,2 Md$, et ce, bien avant qu'un volcan islandais ne vienne aggraver des perspectives peu souriantes. Heureusement, la Commission européenne semble avoir pris la mesure du problème et n'exclut pas d'autoriser les Etats membres de l'Union européenne à verser des aides à titre exceptionnel selon une procédure très encadrée. Elles ne seront pas de trop. Une procédure d'alerte volcanique à revoir ? Le danger des cendres volcaniques

Après cinq jours de paralysie et plus de 1 Md€ de pertes sèches pour le seul transport aérien européen, les critiques fusent sur les modalités du processus qui ont conduit l'Europe à fermer son espace aérien pendant plusieurs jours. Le premier à sonner la charge est le directeur général de l'Association du transport aérien international (IATA), Giovanni Bisignani. Le 19 avril, il critique une procédure unique "se fondant sur un modèle théorique du nuage de cendres volcaniques".

Pierre-Henri Gourgeon, directeur général d'Air France-KLM, n'est pas en reste. "Les cartes des météorologues ne définissent pas réellement le risque potentiel pour le trafic aérien", déclare-t-il le même jour. Il a alors entre les mains les résultats d'une première série de vols d'essai commencée le 18 avril entre Paris-Charles-de-Gaulle, Marseille et Toulouse. Conclusion : "Aucune anomalie n'a été constatée." Des essais qui avaient été menés dès le samedi 17 avril par KLM et Lufthansa avec les mêmes résultats.

Vols d'essai. Evoquant 40 vols d'essai menés à travers l'Europe, Matthias Ruete, directeur général pour les Transports de la Commission européenne, en rajoute une couche, estimant que "la science utilisée pour le modèle que nous utilisons s'appuie sur un certain nombre de suppositions et de projections mathématiques pour lesquelles nous n'avons pas de preuves scientifiques claires". Dans la ligne de mire de ces critiques : le système de prévisions Name de dispersion des cendres volcaniques développé par l'Office météorologique britannique pour le centre d'avis de cendres volcaniques, ou VAAC.

Ce dernier est un des neuf centres couvrant la quasi-totalité du globe et désignés par l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) dans le cadre d'une initiative commune avec l'Organisation météorologique mondiale. Un dispositif mis sur pied en 1997 par l'OACI à la suite d'une conséquente série d'incidents démontrant les réels dangers que représentent les cendres volcaniques pour la sécurité des avions (cf. encadré p. 12). La zone de responsabilités du Vaac Londres est le Royaume-Uni et surtout l'Islande, zone d'intense activité volcanique.

Paramètres. Quand le volcan Eyjafjöll se réveille, le 20 mars, le Vaac Londres est en alerte. Nourri quotidiennement par les informations transmises par la Météorologie islandaise et le Nordic Institute, le centre dispose également des données et images provenant des satellites polaires et géostationnaires. Au moment de l'éruption, le 14 avril, le météorologiste de service doit entrer une série de paramètres dans le système de prévisions : latitude et longitude du volcan, date et heure du relâchement, durée de l'éruption, quantité de cendres relâchée dans l'atmosphère, hauteur du panache.

Au départ, faute d'informations sur la quantité de cendres éjectée ou sur la durée de l'éruption, le météorologiste est contraint d'utiliser des valeurs prédéfinies. En sorte, une carte de cendres volcaniques avec une prévision sur une durée plus au moins longue qui peut aller jusqu'à 24 heures. Puis, il relance le modèle à chaque fois que de nouvelles informations météorologiques et/ou caractéristiques de la source d'émission sont disponibles sur l'altitude, la position et la direction de déplacement des panaches de cendres.

Des bulletins d'avis de cendres volcaniques sont diffusés avec un code couleurs différent au fur et à mesure de l'évolution de la menace. La couleur rouge signifie "éruption en cours avec émission importante de cendres dans l'atmosphère". Y sont associées différentes informations : résumé des dernières observations, détails de la position du panache, de sa dimension et de ses déplacements récents, et scénarios d'anticipation de la trajectoire.

Le bulletin est transmis aux autorités de l'aviation civile qui décident alors de prendre les mesures adéquates : fermeture partielle ou totale de l'espace aérien en fonction d'une zone de "précaution aéronautique" définie en collaboration avec le Vaac. (YC)

C'est dans les années 1980 que l'aviation commerciale a pris conscience du danger que représente le vol dans des nuages de cendres volcaniques composés pour l'essentiel de microparticules de silice très abrasives de quelques microns à 0,1 mm pour les plus grosses, avec des composés soufrés. Il aura fallu pour cela que plusieurs dizaines d'avions connaissent divers problèmes en vol, jamais fatals, mais dont quelques-uns auraient pu tourner à la catastrophe.

Les premiers incidents à être signalés le furent lors de l'irruption du mont Sainte- Hélène, en 1980, quand un 727 et un DC-8 se posèrent avec leur pare-brise fortement abrasé, après avoir traversé le nuage volcanique. Plus grave fut l'incident survenu le 24 juin 1982, lors de l'éruption du volcan indonésien du mont Galunggung. Un 747-200 de British Airways, avec 247 passagers et 15 membres d'équipage, parti de Kuala Lumpur pour Perth, a subi une extinction de ses quatre réacteurs au niveau 370. L'équipage a pu rallumer trois des quatre réacteurs au niveau 130 puis se poser à Jakarta "en aveugle", en se servant des glaces latérales, le pare-brise ayant été rendu opaque à la suite de la forte abrasion des cendres volcaniques. Quelques jours plus tard, un autre 747 traversant le nuage a connu des problèmes de réacteurs qui l'ont conduit à couper deux moteurs puis à se poser en urgence à Jakarta.

Alaska. Sept ans plus tard, le 15 décembre 1989, lors de l'éruption du mont Redoubt, aux Etats-Unis, un 747-400 flambant neuf de la KLM, parti d'Amsterdam pour Anchorage avec 231 passagers et 14 membres d'équipage, a éteint ses quatre réacteurs et perdu un circuit électrique vers le niveau 250, alors qu'il mettait des gaz pour sortir du nuage du volcan. L'équipage a pu rallumer deux réacteurs de ses quatre GE-80C2 au niveau 130 et les deux autres au niveau 110, avant de se poser à Anchorage avec un des circuits électriques et quelques équipements électroniques en panne. Plusieurs autres avions de ligne connurent des dégâts mineurs, sans influence pour la sécurité des vols. Pour sa part, la compagnie régionale Alaska Airlines, qui était aux premières loges, a alors mis au point des procédures qui devaient servir de bases aux recommandations émises par l'OACI.

Par la suite, il y eut plusieurs autres éruptions qui donnèrent lieu à quelques dizaines d'incidents. D'abord, le mont Pinatubo, aux Philippines, en 1991, avec une vingtaine d'incidents sans gravité et l'aéroport de Manille fermé plusieurs jours. Puis le Popocatepetl, au Mexique, en 1997 et 1998, où un seul cas d'érosion de pare-brise fut à signaler (sur la dizaine de passages près du nuage), avec la fermeture pendant 24 heures de l'aéroport de Mexico Ciudad à chacune de ses éruptions.

Les expériences de ces trente dernières années ont permis d'identifier trois types de dangers guettant les avions pris dans un nuage de cendres volcaniques. Le premier consiste en une forte dégradation des réacteurs pouvant conduire à leur extinction. "La température de la chambre de combustion étant largement supérieure à celle de fusion de la silice, les particules fondent en traversant la chambre de combustion, et s'ensuit une resolidification de la silice sur les aubages des distributeurs de la turbine à haute pression et sur les parois de la chambre de combustion", explique Jacques Renvier, le directeur technique adjoint de Snecma. Cela a pour effet de réduire la section de passage de l'air, de perturber la combustion, ce qui peut mener au "pompage" du réacteur, qui devient instable, et provoquer une baisse de poussée parfois suivie d'une extinction moteur.

L'érosion sévère des aubages de la veine compresseur provoque un impact sur le fonctionnement aérodynamique du compresseur, dégradant ainsi ses performances et ses marges au pompage, ce qui peut également conduire à une perte de poussée moteur. "Enfin, les cendres entraînent une pollution générale des circuits internes du moteur (dont les sondes de régulation du moteur) et surtout des circuits d'air", poursuit le directeur technique de Snecma. Ces derniers alimentent en air la cabine des passagers et celle du poste de pilotage, ainsi que les circuits de refroidissement de l'électronique de bord dont certains équipements peuvent tomber en panne.

Selon lui, il est très difficile de définir la capacité chiffrée d'un moteur à résister à une telle pollution en l'absence de données expérimentales. En effet, la détérioration est fonction de la densité des particules et des caractéristiques physiques et chimiques (elle était de 2 g/m3 d'air lors de l'incident du 747 de KLM), de la technologie du moteur et des conditions de fonctionnement : température (1.400° à 2.400°) et débit d'air (entre 30 et 50 m3/sec) dans la chambre de combustion, le taux de compression, etc. En outre, les critères de pollution "volcanique" ne sont pas pris en compte pour la certification des moteurs.

Quant aux deux autres types de dangers, il s'agit de l'abrasion de la cellule et surtout du pare-brise qui peut devenir opaque, empêchant la vision extérieure aux pilotes. Ainsi que l'obstruction des tubes Pitot et des prises statiques, ce qui peut fausser les indications d'altitude et de vitesse.

Consignes. Pour leur part, les compagnies aériennes ont émis des consignes sur la conduite à tenir en présence d'un nuage de cendres volcaniques. Le premier réflexe est de réduire les gaz afin de réduire la présence de particules dans la chambre de combustion et de couper les automanettes pour empêcher une remise des gaz qui aggraverait la situation. Ensuite, il faut sortir au plus vite du nuage en virant à 180° en descente et non pas en montée (comme l'équipage du vol KLM avait fait), tout en ouvrant en grand l'air conditionné et les systèmes de dégivrage pneumatique pour augmenter le débit d'air et les marges de pompage des moteurs. Il faut aussi penser à allumer le groupe auxiliaire de puissance (APU) pour prévenir une perte de puissance électrique et aider au rallumage en vol, en cas d'arrêt des réacteurs. Pendant le reste du vol, il faut bien surveiller la température de sortie des gaz, ainsi que la vitesse et l'assiette car une pollution des Pitot n'est pas à exclure. (JPC)

(Comment un volcan a cassé la reprise, Air & Cosmos, Yann Cochennec, 23 avril 2010)

Dernière mise à jour le 08/05/2011 par Groupe.

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